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Droits et obligations contractuelles en contexte de COVID-19 : comment s’y retrouver ?

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13/04/2020

Depuis le début de la crise liée à la COVID-19, et encore plus depuis la fermeture des entreprises et des chantiers, beaucoup d’architectes s’interrogent sur les conséquences sur leurs droits et leurs obligations contractuelles. Beaucoup d’avis juridiques ont été émis ces dernières semaines, notamment sur la notion de force majeure*. Retrouvez ci-dessous quelques réponses à vos questions pour vous y retrouver. Il est important de noter que chaque situation s’apprécie au cas par cas, en fonction du contrat qui a été signé avec le client ou le donneur d’ouvrage et que cet article ne constitue pas un avis juridique. N’hésitez pas à consulter un juriste afin d’obtenir l’éclairage nécessaire relativement à votre situation.

 

Qu’est-ce que la force majeure ?

Le Code civil du Québec définit ainsi la notion de force majeure : Article 1470 : Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer. La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

Si la pandémie ou les mesures prises par les pouvoirs publics pour la contenir pourraient être considérées comme des événements imprévisibles pour les contrats conclus avant le début de la crise, cela pourrait ne pas être le cas pour les contrats signés après le début de la pandémie. Quant au critère d’irrésistibilité, il faut démontrer que les événements ont rendu l’exécution du contrat absolument impossible ET qu’ils ne pouvaient pas être évités.

Si un contrat prévoit des dispositions spécifiques aux cas de force majeure, ce sont ces clauses qui seront applicables, à moins qu’elles soient abusives ou déraisonnables (voir question d’après).

 

Y a-t-il une clause de « force majeure » dans le contrat que j’ai signé ?

Certains contrats ont une clause destinée à établir une liste d’événements dits de « force majeure » et à prévoir la conséquence convenue entre les parties si l’un des événements énumérés se produit. Par exemple, elle peut indiquer qu’une partie sera tenue d’indemniser l’autre pour toute inexécution de ses obligations ou encore permettre de retarder l’exécution de l’obligation pendant un certain temps après la survenance d’un événement répertorié, ou même être une cause de résiliation de contrat. Les éléments de cette clause pourraient donc s’appliquer à votre relation contractuelle et ainsi, élargir ou restreindre la définition de l’article 1470 du Code civil du Québec. Une analyse de chaque contrat est donc indispensable afin de déterminer s’il permet à l’architecte ou au client d’invoquer que la pandémie de la COVID-19 constitue un événement de force majeure qui a pour effet de modifier vos obligations.

Par exemple, le contrat standard de l’AAPPQ ne prévoit pas de clause de force majeure. Les dispositions du Code civil s’appliquent donc à titre supplétif.

 

Pouvez-vous invoquer la force majeure pour vous dégager de vos obligations contractuelles ou demander des honoraires supplémentaires ?

Sans clause spécifique de « force majeure » dans le contrat que vous avez signé, comme mentionné plus haut, vous devrez démontrer qu’il a été absolument impossible pour vous d’exécuter votre contrat. Si cela peut être démontré pour des services liés directement aux travaux, notamment pour des services de surveillance de chantier (vous ne pouvez pas surveiller des travaux qui n’ont pas lieu), il sera beaucoup plus difficile de démontrer que les services pouvant être faits en télétravail sont impossibles à exécuter. Notez que jusqu’à présent, il n’existe aucune référence jurisprudentielle relativement à la situation, les tribunaux ayant cessé leurs activités, sauf pour extrême urgence.

Il est également important de noter qu’il ne suffit pas de démontrer que l’exécution du contrat est devenue beaucoup plus difficile ou plus onéreuse. S’il est possible de rendre le service, même si c’est plus compliqué ou que ça engendre des frais supplémentaires pour la firme, elle ne pourrait pas échapper à sa responsabilité civile au motif de force majeure et donc demander des honoraires supplémentaires à ce titre.

 

Un client peut-il invoquer la force majeure pour mettre fin à un contrat sans payer d’indemnités à l’architecte ?

À défaut d’une clause spécifique de « force majeure » dans le contrat que vous avez signé, les indemnités liées à la résiliation sont habituellement déjà prévues dans le contrat. Ces dernières prévoient en général des indemnités en fonction du moment où le contrat est résilié, sous la forme de clause pénale. Par exemple, dans le contrat standard AAPPQ, « les frais de résiliation sont constitués des dépenses directement attribuables à la suspension, à l'abandon du Projet, ou à la résiliation du contrat pour lesquelles l'architecte n'est pas remboursé d'autre manière, plus un montant compensatoire qui représente une portion des honoraires totaux prévus au départ (…) », le tout en fonction du moment auquel intervient la résiliation.

Votre client pourrait-il invoquer la force majeure pour ne pas payer les frais de résiliation ? S’il désire le faire, il doit démontrer qu’il est impossible pour lui de remplir ses obligations contractuelles à cause de la pandémie, encore une fois selon les circonstances particulières. Par exemple, un client qui se voit dans l’obligation de résilier votre contrat parce que ses prêteurs ont interrompu le prêt dans les circonstances de la Covid-19 pourrait prétendre à la force majeure. Ce faisant, si vous vous retrouvez dans une telle situation, nous vous conseillons d’en parler avec votre client et de trouver un terrain d’entente en fonction du contexte particulier de votre projet et de la relation que vous avez avec lui. Par exemple si le projet est abandonné définitivement, il peut être difficile d’obtenir l’entièreté des frais de résiliation prévus au contrat.

Rappelons toutefois qu’au-delà des frais de résiliation, le client doit toujours rémunérer l’architecte pour tous les services déjà fournis dans le cadre du contrat.

 

Quelle analyse de risque pour les futurs contrats que vous signerez ?

Avant de soumissionner pour tout projet une analyse de risque devrait être effectuée sur la base de scénarios raisonnablement prévisibles. Dans le contexte actuel, la prévisibilité raisonnable est fort complexe à évaluer. De plus il est fortement probable que de plus en plus de clauses seront intégrées aux documents d’appels d’offres, permettant de baliser les droits, les responsabilités et les obligations du client et de l’architecte, relativement aux conséquences des événements. L’APPPQ recommande donc aux architectes, notamment dans le cadre des appels d’offres publics, d’être très vigilants quant à ces clauses qui pourraient apparaître. Elles doivent être analysées avec beaucoup de prudence et prises en compte dans la décision de soumissionner ou non. En effet, certaines clauses pourraient transférer un risque trop important sur l’architecte dans ce contexte incertain, notamment sur les pénalités dues au retard d’échéancier.

Certaines municipalités commencent par exemple à inclure des clauses pour les appels d’offres d’entreprises de construction, qui transfèrent l’ensemble du risque sur les firmes. Voici un exemple de clause qui a été repérée : « Dans le cas d’un arrêt des travaux dû à une décision du gouvernement, les coûts suivants sécurisation et vérification du chantier, gestion et maintien de la circulation, frais fixes associés à l’organisation de chantier, frais d’entretien des équipements de pompage (si requis) ainsi que tous les frais reliés à l’arrêt des travaux ou au retard dû à ces dispositions du gouvernement seront aux frais de l’adjudicataire. »

Si, en tant qu’architecte, vous constatez de telles clauses dans les appels d’offres publics (ministères, organismes ou municipalités,) nous vous remercions de bien vouloir les signaler à l’AAPPQ afin que nous puissions en tenir compte lors de nos représentations auprès des pouvoirs publics.

 

*Sources :

La force majeure à l'ère de la COVID-1- Stein Monast

L’inexécution des contrats en raison de la pandémie de la COVID-19 – un cas de force majeure ? Langlois Avocats

COVID-19 : impacts sur les chantiers de construction - Miller Thomson pour la CEGQ